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Les enfants et la guerre : A propos du déplacement illégal des enfants ukrainiens, Alina Goncharova

La protection des droits de l'enfant est l'une des principales tâches incombant non seulement aux États ou aux institutions de défense des droits de l'homme, mais encore à l'ensemble de la communauté internationale. Il est fréquemment rappelé et souligné que les enfants sont les successeurs de la civilisation moderne. Au niveau du droit international, l'enfant est au cœur des différents dispositifs quelles que soient les régions du monde concernées. Le cas des enfants déplacés depuis le début de la guerre en Ukraine mobilise plusieurs actions.


Depuis le début de l'invasion du territoire ukrainien par la Fédération de Russie, le problème de la déportation illégale des enfants ukrainiens vers la Russie s'est posé. Le transport de ces enfants est effectué sous le prétexte de l'évacuation des villes occupées, de leur traitement médical ou de leur réinstallation dans des camps pour enfants. Toutefois, une évacuation devrait se caractériser par son organisation officielle par des représentants des autorités ukrainiennes et ne saurait se produire vers le pays agresseur. En outre, l'organisation d'une telle évacuation ne peut en aucun cas être considérée comme volontaire si elle est effectuée dans des conditions où la population civile est forcée de quitter son lieu de résidence permanente sous la contrainte physique ou mentale. Lorsque l'on examine les motifs réels de ces déportations, il convient de souligner les aspects suivants. Les enfants d'âge préscolaire sont souvent enregistrés avec de nouvelles données personnelles, en changeant leur nom - leur prénom et leur patronyme. Inconscients des conséquences d'un tel acte, les enfants ne s'opposent pas et acceptent même le nom qu'on leur propose. Ce changement vise principalement à rendre presque impossible la recherche d'un tel enfant dans les bases de données, et encore plus après son adoption dans la Fédération de Russie. Il convient d'accorder une attention particulière au fait que les adolescents plus âgés voient leur date de naissance modifiée afin d'augmenter leur âge, ce qui leur permet d'être librement déportés sans le consentement de leurs parents.

Quelques faits concernant le déplacement des enfants ukrainiens

Il y aurait environ 150 000 enfants ukrainiens en Russie. C'est ce qu'a indiqué le commissaire aux droits de l'homme de la Verkhovna Rada, Dmytro Lubinets. La Commission internationale indépendante d'enquête sur les violations des droits en Ukraine a reconnu des cas de transfert illégal de 164 enfants ukrainiens par des Russes. Les enfants, âgés de 4 à 18 ans, ont été enlevés dans les régions de Donetsk, Kharkiv et Kherson. La Commission a identifié trois cas principaux dans lesquels les autorités russes ont transféré des enfants ukrainiens vers les zones contrôlées ou vers la Fédération de Russie :

Il s'agit d'enfants qui ont perdu leurs parents ou qui ont temporairement perdu le contact avec eux pendant les hostilités.
- Il s’agit d’enfants qui ont été séparés de leurs parents lorsque l'un d'entre eux a été détenu aux points de filtrage.
- Il s’agi d’enfants qui étaient placés dans des institutions de soins 

L'Ukraine manque de mécanismes internationaux pour aider au retour des enfants enlevés illégalement. Malheureusement, il n'existe actuellement aucun mécanisme unique pour le retour des enfants ukrainiens. Il n'y a pas de négociations avec la Russie concernant leur retour. Elle ne reconnaît pas ces enfants comme détenus, déportés ou déplacés de force. Pourtant, il convient de noter que la déportation d'enfants ukrainiens vers la Russie est un crime de guerre. La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt à l'encontre de Volodymyr Poutine et de la commissaire à l'enfance Maria Lvova-Belova, soupçonnés d'avoir commis ce crime.

En Russie, l'adoption des enfants ukrainiens est présentée comme un acte patriotique. Le transfert des enfants dans des familles russes et la remise de passeports russes sont largement couverts par la télévision russe. Lorsque les troupes russes ont assiégé la ville ukrainienne de Marioupol, les enfants ont fui les orphelinats et les internats bombardés. Séparés de leurs familles, ils ont suivi leurs voisins ou des étrangers vers l'ouest, à la recherche d'une relative sécurité. Il résulte des entretiens avec des enfants, des témoins et des membres de leur famille que les forces pro-russes les ont interceptés à des points de contrôle autour de la ville. Les autorités les ont fait monter dans des bus qui se sont enfoncés dans le territoire contrôlé par la Russie. Comme l'écrit Emma Bubola dans le New York Times, « la relocalisation systématique fait partie de la stratégie plus large du président russe Vladimir Poutine, qui considère l'Ukraine comme une partie de la Russie et considère son invasion illégale comme une noble cause. Son gouvernement a utilisé les enfants - y compris les malades, les pauvres et les orphelins - dans le cadre d'une campagne de propagande qui présente la Russie comme un sauveur charitable ».

Le 18 avril 2023, le Cabinet des ministres de l'Ukraine a adopté la résolution n° 339 intitulée « Quelques questions relatives à la protection des personnes, y compris les enfants, déportées ou déplacées de force en raison de l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine » Cette résolution prévoit la création d'un registre unifié des personnes, y compris les enfants, déportées ou déplacées de force en raison de l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Le ministère de la réintégration, en collaboration avec le bureau national d'information, au nom du bureau du président de l'Ukraine et avec l'information et le soutien analytique du soutien du gouvernement du Canada aux réformes gouvernementales en Ukraine, a créé la plate-forme d'information nationale « Enfants de la guerre » en tant qu'outil de recherche et de libération des enfants des lieux de déplacement forcé ou de déportation.  

La plateforme met à jour les dernières informations sur les enfants affectés par l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine tous les jours à 8 heures. Au 4 octobre 2023, selon la ressource, 19 546 enfants sont considérés comme déportés, alors que selon les données de source ouverte fournies par la Fédération de Russie, le nombre d'enfants est de 744 000. Selon une étude indépendante menée par l'Institut pour l'étude de la guerre. Parmi les raisons des déportations illégales sous couvert d'évacuation, il y avait une campagne de dépeuplement ciblée dans les zones occupées de l'Ukraine pour faciliter le repeuplement des territoires ukrainiens par des Russes et tenter de modifier la composition ethnique de l'Ukraine. Or, ces campagnes de dépeuplement et de repeuplement peuvent être assimilées à un nettoyage ethnique délibéré et constituent une violation manifeste de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. 

L’assistance des organisations internationales dans la recherche des enfants

Le 25 avril 2023, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution sur la Coopération entre les Nations Unies et le Conseil de l'Europe qui énonce clairement le crime d'agression russe contre l'Ukraine. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, a été adoptée par l'Assemblée parlementaire le 27 avril 2023 la Résolution 2495 (2023)  « Déportations et transferts forcés d'enfants ukrainiens et d'autres civils vers la Fédération de Russie ou les territoires temporairement occupés de l'Ukraine : créer les conditions de leur retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et punir les responsables ». Cette résolution contient une disposition importante concernant la qualification des crimes commis par la Fédération de Russie. Il est souligné que la pratique des déportations et des déplacements forcés d'enfants ukrainiens est une caractéristique particulièrement grave de cette agression et constitue une violation du droit humanitaire international. Leur caractère organisé et systématique indique que ces crimes ne sont pas accidentels ou non planifiés. Ils témoignent d'une intention de détruire l'Ukraine et l'identité ukrainienne, ainsi que les caractéristiques culturelles et linguistiques de son peuple. En conséquence, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe déclare que le transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux est considéré comme un crime de génocide en vertu de l'article 2(e) de la Convention sur le génocide de 1948, ce qui coïncide avec les preuves documentées de la déportation et du déplacement forcé d'enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie ou vers des territoires temporairement occupés par la Russie (v. paragraphe 10)

La poursuite de la coopération à tous les niveaux, tant gouvernemental que non gouvernemental, contribuera à la création d'un mécanisme international efficace pour la recherche
et le rapatriement des enfants ukrainiens. Étant donné qu'aucune organisation internationale de défense des droits de l'homme n'a actuellement accès au territoire de la Fédération de Russie pour faciliter le retour des enfants ukrainiens déportés illégalement, la coopération des ONG nationales et étrangères (y compris l'opposition russe et biélorusse) est une contribution majeure à l'aide apportée à l'État dans la recherche et le retour des enfants ukrainiens. La création en cours d'une base de données internationale pour la recherche des enfants, avec la participation d'organisations nationales et internationales, est l'une des tâches les plus importantes auxquelles la communauté internationale est confrontée. Les principales dispositions de cette coopération, telles qu'énoncées dans la résolution de l'APCE du 27 avril 2023, sont la création d'un mécanisme d'identification, de localisation et de rapatriement des victimes en Ukraine ou dans un pays tiers sûr

Les mesures européennes pour le retour des enfants

L'une des mesures prioritaires que l'État devrait prendre pour le retour des enfants ukrainiens dans leur pays d'origine est de leur fournir une assistance psychologique et une réadaptation d'urgence. Les mécanismes internationaux régionaux de protection des droits de l'homme sont créés sur la base de traités internationaux de certains groupes d'États, généralement au sein de régions géographiques. Actuellement, des mécanismes régionaux de protection des droits de l'homme ont été établis en Europe (au sein du Conseil de l'Europe - sur la base de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 ; au sein de l'Union Européenne - sur la base des traités fondateurs de l'UE). Le projet vise à renforcer la réponse de l'Ukraine aux violences commises à l’encontre des enfants, y compris l'exploitation et les abus sexuels, dans le contexte de l'agression armée de la Fédération de Russie.

Le projet vise à protéger et à promouvoir les droits des enfants, en tenant compte des risques particuliers posés par la guerre, pour les enfants déplacés à l'intérieur du pays, les enfants
déplacés de force, les enfants privés de soins parentaux et les enfants non accompagnés, conformément aux normes du Conseil de l'Europe. Elle vise à améliorer l'efficacité des mécanismes visant à créer des conditions et des procédures judiciaires adaptées aux enfants, ainsi qu'à renforcer les capacités de divers groupes cibles de professionnels travaillant pour et avec les enfants. Le projet est développé dans le cadre du Plan d'action du Conseil de l'Europe pour l'Ukraine Résilience, redressement et reconstruction (2023-2026). Les activités du projet sont basées sur la Stratégie du Conseil de l'Europe pour les droits de l'enfant (2022-2027) Les droits de l'enfant en action : de la mise en œuvre durable à l'innovation conjointe adoptée par le Comité des ministres en février 2022. Les six priorités stratégiques comprennent des actions visant à protéger et à promouvoir les droits de l'enfant dans les situations de crise et d'urgence, comme celle à laquelle sont confrontés les enfants en Ukraine aujourd'hui. A savoir, la réhabilitation après les déplacements forcés.

Le rétablissement de la santé physique et mentale des citoyens après une guerre, en particulier celle des enfants, sera un élément important de la reconstruction de l'État ukrainien. Les
enfants sont la clé de l'avenir de chaque nation, c'est pourquoi la protection des enfants ukrainiens doit être au cœur des préoccupations et doit mobiliser les efforts de la communauté internationale sur la voie de la paix en Ukraine et de la sécurité internationale dans le monde.
Alina Goncharova