Les effets du stress précoce sur le développement cérébral
Le stress précoce causé par la maltraitance infantile influence le développement du cerveau de l’enfant. Les chercheurs ont étudié ces effets et leurs conséquences.
L'enfance et l’adolescence sont une période cruciale pour le développement cérébral. C’est pendant cette période que se produit la maturation des circuits neuronaux qui permettent à l'individu de développer ses fonctions cognitives, ses réponses émotionnelles, sa représentation du monde, ou encore ses comportements sociaux. “Cette période de maturation est notamment marquée par une grande plasticité cérébrale, une période pendant laquelle l’organisation structurelle et fonctionnelle des circuits neuronaux est particulièrement influencée par les expériences et l’environnement.”, explique Arnaud Tanti, chercheur en neurosciences intégratives à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
L'adversité durant cette période, qu’il s’agisse de maltraitance physique, psychologique, sexuelle ou de négligence, peut donc avoir des effets importants sur ce développement cérébral. Ces effets peuvent favoriser l’émergence de troubles psychiques comme la dépression. Ainsi, les victimes de maltraitance infantile sont plus à risque de tenter de se suicider. Des études ont été menées sur des échantillons de cerveaux post-mortem de personnes s’étant suicidées et ayant été victimes de maltraitance infantile. M. Tanti a eu la possibilité de travailler sur ces tissus cérébraux rares qui lui ont permis de mieux comprendre les changements qui peuvent s’opérer dans le cerveau d’un enfant exposé à un stress précoce.
Le stress précoce, qu’est-ce que c’est ?
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), “Le stress est un état d’inquiétude ou de tension mentale causé par une situation difficile. Il s’agit d’une réponse humaine naturelle qui nous incite à relever les défis et à faire face aux menaces auxquels on est confrontés dans notre vie.”. Le stress a des effets physiologiques (sur le corps) et psychologiques (sur l’esprit). Si le stress léger est normal dans la vie quotidienne, et permet de mieux aborder certaines situations, un état de stress prolongé ou un stress trop intense peut s’avérer néfaste physiquement et mentalement. Un stress néfaste peut ainsi générer de l’anxiété et de l’irritabilité ; perturber le sommeil, l’alimentation, la concentration et la capacité à se détendre ; ou encore causer des douleurs corporelles comme des migraines ou des maux de ventre.
Le Conseil scientifique national sur le développement de l'enfant (Université de Harvard, États-Unis) distingue trois types de stress psychologique : le stress positif, un stress “naturel” qui permet à l’enfant d’apprendre ; le stress tolérable, qui est plus intense mais qui peut être surmonté avec l’aide des parents ou tuteurs ; et le stress toxique, un stress qui dure longtemps et qui est anormal. C’est donc ce dernier type de stress qui peut être généré en cas de maltraitance physique, psychologique, sexuelle ou de négligence, et que l’on peut qualifier de stress précoce s’il survient pendant l’enfance du sujet.
Les effets du stress précoce sur le développement du cerveau
Les études des cerveaux de personnes ayant été victimes de maltraitance ont permis d’identifier plusieurs altérations dans plusieurs zones du cerveau. En premier lieu, on observe une augmentation du volume et de l’activité de l'amygdale, suggérant une réactivité au stress accrue. Ensuite, on constate des modifications de l’activité corticale et de la substance blanche, particulièrement dans le cortex préfrontal qui joue un rôle dans le contrôle des émotions et la cognition. De plus, le stress entraîne une production de cortisol, hormone permettant de gérer le stress. Cette hormone va altérer le fonctionnement du cerveau afin de permettre à l’individu de pouvoir réagir face à la situation stressante à laquelle il est confronté. En cas de production excessive et/ou prolongée de cortisol dans le cerveau, les capacités mnésiques de l’individu, ses réponses immunitaires et sa réponse au stress, à l’émotion et à la mémoire sont impactés. Le stress précoce, par sa récurrence et/ou son prolongement, va donc avoir pour conséquence une production excessive de cortisol, ce qui va impacter négativement le fonctionnement des cellules cérébrales et nuire au processus de maturation. On observe également des changements dans la structure du cerveau et dans l’expression des gènes qui influent sur la sensibilité et la réponse au stress, la régulation de l’humeur, la neurotransmission, la plasticité neuronale, ou encore la neuroinflammation. Enfin, le stress précoce porte atteinte au processus de myélinisation. Ce processus, qui permet de recouvrir les fibres nerveuses d’une gaine de myéline pour faciliter la transmission du signal nerveux, joue un rôle très important dans la communication entre les différentes régions du cerveau.
Pour expliquer de tels effets sur le développement cérébral, M. Tanti met en avant la capacité d’adaptation du cerveau humain : “Si la maltraitance infantile, et de façon générale le stress, pendant cette période de développement, a des effets aussi persistants sur les victimes, c’est vraisemblablement parce qu’en premier lieu cette capacité d’adaptation du cerveau va peut-être orienter l’apprentissage de schémas de comportements qui sont plus adaptés à ces environnements toxiques ou aversifs.”. Cette adaptation du cerveau durant l’enfance répond donc à une adversité, pour lui permettre d’y faire face pendant un certain temps, jusqu'à ce que les limites de l’individu soient atteintes. Cependant, cela nuit par la suite à l’individu qui peut souffrir d’un manque de capacités d’adaptation et de flexibilité une fois confronté à des situations dépourvues d’adversité. Dans les cas les plus extrêmes, il risque notamment d’avoir intégré certains comportements posant problème socialement (fuite et repli sur soi ou agressivité). Les effets du stress précoce sur le développement du cerveau peuvent donc s’avérer irréversibles et impacter l’enfant tout au long de sa vie.
Les conséquences pour les victimes et les moyens de les soigner
De nombreuses études ont démontré que l’exposition à de la maltraitance ou à de la négligence augmentait la probabilité d’apparition de troubles psychiques comme l’anxiété ou la dépression. Cela a aussi pour effet de déclencher, voire d’aggraver, des maladies psychiatriques comme la bipolarité ou la schizophrénie. Les changements qui ont lieu dans le développement du cerveau d’un individu confronté à un stress précoce pourraient ainsi jouer un rôle dans l’apparition de psychopathologies. Par exemple, l’altération de la myéline dans le cortex cingulaire pourrait contribuer à la dysrégulation comportementale et à l'émergence de difficultés interpersonnelles, qui contribuent notamment au risque de dépression et de suicide. Toutefois, cette hypothèse doit encore être étayée car des altérations similaires sont aussi présentes chez des personnes ayant développé de la résilience.
Il existe une multitude de conséquences dues au stress précoce, de nombreuses variations interindividuelles et plusieurs types de traitements. Par ailleurs, il est important de chercher à traiter les effets néfastes du stress précoce le plus tôt possible, idéalement durant l’enfance et au plus tard à l’adolescence, afin de pouvoir encore tirer parti de la plasticité cérébrale de l’enfant pour le soigner. Pour restaurer une plasticité et une capacité d’apprentissage, de récentes études suggèrent également la possibilité d’agir sur la matrice extracellulaire — un assemblage de macromolécules permettant l’adhésion des cellules et leur organisation en tissu — qui joue un rôle important dans la plasticité cérébrale et la maturation des circuits neuronaux. Cette matrice pourrait en effet être influencée par le stress précoce ce qui nuirait prématurément à la plasticité cérébrale pendant l’enfance. “[Cela] peut peut-être constituer un levier intéressant, en agissant sur cette matrice extracellulaire, pour essayer de rouvrir des fenêtres de plasticité et faciliter des ré-apprentissages cognitifs et émotionnels adaptés, ou peut-être promouvoir la résilience.” explique Arnaud Tanti.
Gauthier Pichevin