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La négligence des enfants et ses conséquences : l’apport des études sur les enfants Roumains

La négligence est une des formes de maltraitance infantile les plus répandues. Pour mieux la comprendre, la chaire Unesco en maltraitance infantile s’est intéressée au cas des orphelinats en Roumanie.

On parle de négligence lorsque la personne responsable d’un enfant ne subvient pas aux besoins qui sont indispensables à son développement et à son bien-être. Parmi les différents types de maltraitance, la négligence est le plus répandu, représentant 61% des cas de maltraitance aux États-Unis. La négligence est une maltraitance par omission, elle peut donc ne pas être intentionnelle. Néanmoins, elle reste dangereuse pour l’enfant, d’où sa qualification de maltraitance.

La négligence peut se subdiviser en 4 catégories : on parle de négligence physique lorsque les besoins basiques (nourriture, vêtements, abri) ne sont pas satisfaits ou mal supervisés ; on parle de négligence éducative quand le responsable ne s’assure pas que l’enfant reçoive une éducation ; la négligence émotionnelle, quant à elle, désigne un manque de stimulation et d’attention envers l’enfant ; et la négligence médicale est le fait que le responsable ne s’assure pas que l’enfant reçoive les soins médicaux dont il a besoin ou qu’il ne suive pas les recommandations médicales. 

Chez les enfants ayant souffert de négligence, on observe un manque de performance du fonctionnement exécutif, qui peut se traduire par un déficit de la mémoire-travail et une inhibition de la réponse. Ce manque favorise le développement du trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). De plus, les enfants ayant été négligés présentent une diminution de la réactivité face au stress, ce qui augmente les risques du développement de psychopathologie.

La particularité des négligences institutionnelles 

Quand on parle de négligence, on peut distinguer la négligence parentale, qui survient dans un cadre familial, de la négligence institutionnelle, en orphelinat. Là où la négligence est due à l’insuffisance des parents/tuteurs dans le premier cas, elle résulte justement de l’absence de cette figure de référence dans le second. La négligence institutionnelle est donc inhérente à la structure des orphelinats et à l’âge des enfants qui y sont élevés.

En effet, bien que les orphelinats mobilisent un personnel qui éduque, soigne, nourrit et accompagne les enfants, ces encadrants ne sont pas toujours suffisamment nombreux par rapport au nombre d’enfants dont ils ont la charge. De plus, s’ils ont un rôle spécifique pour accompagner l’enfant, ils ne constituent pas une référence ou un modèle. Tout cela amène à un manque d’attention, de stimulation et de proximité envers chaque enfant. C’est donc de la négligence émotionnelle qui a lieu en orphelinat et qui découle du fonctionnement et de la structure de ce type d’établissement.

La négligence en orphelinat : le cas de la Roumanie

Sous le régime communiste totalitaire dirigé par Nicolae Ceauşescu, la politique nataliste du gouvernement interdisait l’avortement et la contraception. De plus, les familles de moins de 5 enfants devaient payer des taxes supplémentaires. Cette politique a entraîné l’abandon de dizaines de milliers d’enfants dans des orphelinats, qu’ils soient officiels ou non. Après la chute du régime de Ceaușescu en 1989, le monde a découvert ces orphelinats dans lesquels les enfants étaient non seulement complètement délaissés, mais aussi maltraités physiquement.

Par la suite, et avec l’aide d’organisations non gouvernementales, la Roumanie a entrepris un travail pour soigner ces enfants et améliorer leur prise en charge. Le nombre d’orphelinats fut donc réduit et le placement en famille d’accueil privilégié. De plus, plusieurs études scientifiques d’ampleur ont souligné que les séquelles les plus importantes, dues à la négligence, ont été observées chez les enfants de moins de 3 ans ayant été placés en orphelinat. Parmi ces séquelles, on relève notamment une baisse du QI et du volume du cerveau ainsi que des capacités cognitives extrêmement diminuées comparé à des enfants ayant grandi en famille d’accueil. La stimulation du cerveau au cours des premières années de la vie est en effet cruciale pour garantir le bon développement de l’enfant. C’est ce qui a amené la Roumanie à légiférer sur le sujet pour interdire que des enfants trop jeunes soient placés en orphelinat. En 2004, la Roumanie a ainsi interdit le placement d’enfants de moins de 3 ans en orphelinats, puis a étendu cet interdit jusqu’aux enfants de moins de 7 ans en 2019. En 2021, il y avait encore 12 890 enfants placés dans des orphelinats en Roumanie, contre 57 181 en 2000.

Soigner les enfants qui ont été victimes de négligence

Les nombreux enfants roumains qui ont souffert de négligence dans les orphelinats participent encore à des études scientifiques et nous permettent de comprendre les effets de la négligence ainsi que de trouver des moyens de soigner ceux qui en ont déjà été victimes. Plusieurs psychothérapies ont montré leur efficacité pour soigner les enfants ayant été victimes de négligence. Ainsi, des activités de jeu en groupe avec d’autres enfants de leur âge permettait aux enfants ayant été négligés de développer leurs capacités de coopération et d’interaction. De plus, un programme thérapeutique pourrait améliorer l’estime de soi de ces enfants. Une thérapie multisystémique pourrait également permettre d’améliorer les dysfonctionnements relatifs aux relations, notamment familiales, qui sont souvent présents chez les enfants ayant été négligés. Enfin, une autre étude a montré qu’exposer des enfants à un environnement de vie plus positif et de plus grande qualité entre 12 et 16 ans favoriserait l’amélioration de leur fonctionnement exécutif, de leur traitement des récompenses et de leurs symptômes d’externalisation ou d’intériorisation. Les bénéfices de l’adoption sur ces différents aspects ont également clairement démontrés. En effet, l’adoption permet de contrecarrer les effets de la négligence institutionnelle sur le QI et les comportements antisociaux; les effets de l’adoption sont d’autant plus importants que l’adoption est précoce, avant l’âge de 3 ans. La négligence induit également des altérations du fonctionnement cérébral qui sont corrigées par l’adoption

Il a aussi été démontré que l’adolescence constituait une période de sensibilité accrue d’un individu à l’influence de son environnement. Il est donc possible de profiter de la plasticité des systèmes cognitif et affectif de l’adolescent pour essayer de remédier aux effets néfastes de la négligence en bas âge. Cela a notamment été prouvé en ce qui concerne la re-calibration de la réactivité au stress. L’adolescence constituerait donc une période idéale pour permettre de soigner ceux qui ont été négligés au cours de leur petite enfance, en ciblant leur environnement social.

La détection et la prévention de la négligence 

La négligence n’est pas forcément facile à percevoir, mais plusieurs signes peuvent indiquer qu’un enfant est négligé. Ces signes peuvent s’observer sur l’enfant (manque d’hygiène, de nourriture, de soins médicaux, vêtements inadaptés, etc.) mais aussi dans son comportement (agressivité, dépression, anxiété, comportement obsessionnel, troubles alimentaires ou de l’attention, consommation de drogue ou d’alcool, automutilation, absentéisme à l’école, etc.). L’école étant le principal lieu extérieur à la famille ou à l’orphelinat que fréquente l’enfant, c’est souvent là que ces signes de négligence peuvent être repérés. En cela, les enseignants et le personnel scolaire sont des acteurs majeurs dans la détection de la négligence et il est important qu’ils sachent repérer et puissent signaler de potentiels cas de négligence d’enfants.

S'il est important de détecter la négligence, l’idéal consiste à la prévenir en amont. La meilleure manière d’y parvenir est de privilégier autant que possible le placement en famille d’accueil plutôt qu’en orphelinat, notamment lorsque l’enfant est jeune. Les études menées constatent en effet un véritable fossé — au niveau des capacités cognitives et du fonctionnement adaptatif — entre les enfants ayant grandi en famille d’accueil et ceux ayant grandi en orphelinat. Cela est notamment illustré par les études auxquelles ont participé les jeunes adultes ayant grandi dans les orphelinats roumains. Les lois empêchant les enfants les plus jeunes d’être placés en orphelinat permettent donc d’aller dans cette direction, bien qu’il faille aussi s’assurer de la qualité de la famille d’accueil. En outre, même si de jeunes enfants ont déjà été négligés, le fait de les placer en famille d’accueil très tôt peut permettre de remédier aux effets néfastes de cette négligence après quelques années. Toutefois, si le placement en famille d’accueil n’est pas possible, la qualité des orphelinats peut déjà continuer à être améliorée, notamment en réduisant le nombre d’enfants par encadrant. Cela permettrait ainsi d'offrir aux enfants une proximité et une attention suffisante, et donc un environnement de qualité dans lequel ils puissent s’épanouir sereinement.

 

Gauthier Pichevin